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Impacts de la sphère médiatique, violence envers les journalistes, capitalisme et démocratie... voici la deuxième partie de notre dossier politique centré sur la démocratie !

Dans cet article

Vers partie 1

Partie 2

Les média

Les média sont une composante indispensable de tout régime démocratique, on les appelle communément “le 4e pouvoir” en référence aux pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif.
En effet les média assurent la transmission et l’analyse de l’information, indispensable aux citoyen·nes pour prendre des décisions éclairées. Ils peuvent également constituer un fort contre-pouvoir à disposition du peuple.


Pourtant la France est classée 34e mondiale par Reporters Sans Frontières pour la liberté de la presse en 2020. Piètre bilan pour le “pays des droits de l’Homme” et “inventeur de la démocratie”. Sur leur site, RSF explique qu’ils ont mesuré le pluralisme des opinions, l’indépendance des média, l’autocensure, le cadre légal, la transparence, les moyens mis en oeuvre ainsi que les violences envers les journalistes.

Sur le sujet de la critique des média, je connais beaucoup plus de ressources de qualité que sur les questions de constitution, je vais donc vous les partager, ça sera bien plus clair et pertinent que mes pavés ! Il y en a pour des heures à tout regarder, donc choisissez ce qui vous intéresse, quitte à revenir sur ce document au fil des mois ou des années qui viennent. Cependant le sujet est passionnant une fois qu’on commence à comprendre les ficelles, ne soyez pas étonné·es de ne pas voir le temps passer sur ces vidéos. ;)

La neutralité

Nos journalistes sont ils·elles neutres et objectifs ? Leur but est-il l’information des citoyen·nes ? Comment le champ médiatique fonctionne-il et quels sont les intérêts des personnes qui en font partie ?

Pour commencer, une petite compilation rigolote sur le traitement des gilets jaunes par les journalistes et éditorialistes (3 min) par Acrimed (association qui fait un travail de très bonne qualité sur la question de la neutralité des média).


Ensuite, une vidéo très complète sur la neutralité des journalistes par Usul : Comment traitent-ils·elles l’information ? Pourquoi de cette façon là ? Qu’ont ils·elles à y gagner ou à y perdre dans le système médiatique ? : Le journaliste (David Pujadas) (50 min)


Pour aller plus loin, le film de Gilles Balbastre Les nouveaux chiens de garde est excellent, malheureusement je n’en trouve plus de lien de streaming gratuit. Également, les films de Pierre Carles, notamment Pas vu pas pris, et Enfin pris ?.

La fabrication de l’opinion

Les média sont très importants dans une démocratie, notamment parce qu’une bonne partie des citoyen·nes s’y réfère pour s’informer et se former une opinion sur ce qu’il est bon de faire en politique.
L’ayant remarqué, certaines personnes ou groupes entreprennent donc de concentrer un maximum de pouvoir médiatique pour orienter la démocratie dans le sens qui les arrange. Dans leurs vidéos de vulgarisation de la pensée du sociologue français Pierre Bourdieu, Osons causer décrivent comment et pourquoi notre opinion peut être dirigée par les média, notamment avec l’exemple des sondages :

Les sondages sont-ils fiables ? (10min)
Sondages : qui s’en sert et pourquoi ? (15min)
Pourquoi 10 milliardaires contrôlent notre information ? (25min)


La carte complète ici

Les mécanismes analysés dans ces vidéos sont parmi les plus importants concernant la démocratie : puisqu’on a accepté l’idée qu’on demanderait son avis au peuple, au moins pour choisir tous les 5 ans qui les gouverne, l’enjeu majeur est d’influencer le peuple en direction de ses intérêts.

Mais qui a intérêt à contrôler nos esprits par les média et nous faire voter pour celui·celle qui les arrange ? Les illuminati ? Les reptiliens ? Les pédosatanistes ? Les 3 en même temps ?
On peut en rire, pourtant il existe bel et bien des stratégies collectives des puissants pour le rester. Elles sont simplement moins farfelues et font appel à des explications chiantes comme les intérêts de classe (quand on est puissant, on a tendance à vouloir le rester).

Monique Pinçon-Charlot, sociologue de la grande bourgeoisie, explique dans cette vidéo : “C’est une classe sociale au sens marxiste du terme, c’est à dire en soi (richesse monétaire, richesse culturelle, réseaux), et pour soi : c’est à dire consciente de ses intérêts de classe. […] Ils sont tout le temps ensemble, à faire la fête et à régler leurs affaires.[…] Un membre de cette classe rend, en permanence et en tout lieu, service à tout membre de cette classe.”
La grande bourgeoisie étudiée par Pinçon-Charlot et les grands propriétaires industriels ne sont pas exactement la même classe, mais le fonctionnement est le même.

Surtout, ce fonctionnement est beaucoup moins secret que ne le voudraient les complotistes. Bien sûr, les journaux mettent parfois au jour des affaires secrètes de conspiration entre Etats et/ou grandes entreprises, et on peut légitimement penser qu’il y en a d’autres. Mais la plupart des données permettant de comprendre l’architecture de ce pouvoir sont publiques : qui possède quel média, quel entreprise, qui est de la même famille, a occupé quel poste etc. Les conflits d’intérêt sont donc visibles par tou·tes. En revanche, ils sont très peu identifiés et désignés comme un danger pour la démocratie.


Pour aller plus loin sur le sujet de la fabrication de l’opinion, vous pouvez visionner le film Manufacturing Consent (2h47) sur les idées de l’américain Noam Chomsky.

Également Le syndrôme du grand méchant monde (43 min) : dans cette vidéo de la chaîne de psychologie sociale Horizon Gull (43 min), on parle des recherches sur le sentiment d’insécurité généré dans notre cerveau par le visionnage de programmes de télé anxiogènes (comme les actualités, les reportages choc et les séries policières) et comment cela est utilisé par ces chaînes pour augmenter l’efficacité de la publicité sur le cerveau des spectateur·rices (et ainsi vendre plus cher le temps d’antenne aux annonceurs). Ceci a pour effet (et non pour but : le but c’est l’argent) d’orienter le débat public vers des questions anxiogènes comme la sécurité ou l’immigration, et favorisent les courants politiques qui se prétendent une protection face à ces “menaces” (spoiler : LA DROITE)”

La violence envers les journalistes


La liberté de la presse est évidemment en danger si les journalistes ont peur d’exercer leur métier. C’est pourtant la réalité des journalistes en france aujourd’hui, après que plus de 50 de leurs collègues aient été blessé·es par la police lors des manifestations gilets jaunes, selon Reporters Sans Frontières.


Policier ciblant le journaliste Sylvain Louvet à Rouen le 29 décembre 2018.


Le journaliste Hugo Clément de Quotidien après avoir pris un flashball en pleine tête le 1er décembre 2018


Le journaliste Gaspard Glanz de Taranis News, arrêté le 20 avril 2019 après s’être indigné d’avoir
reçu une grenade de désencerclement pour la 2e fois en quelques semaines

À Notre-Dame-des-Landes, lors de l’expulsion en 2018 de la ZAD (zone à défendre) contre le projet d’aéroport, la police a tout bonnement interdit aux journalistes de faire leur travail et a produit elle-même des images, qu’elle a ensuite remis aux média (qui se sont en majorité contentés de diffuser cette propagande gouvernementale sans broncher devant la négation totale de leur droit d’informer) (source).

Un peu hors-sujet puisque ce n’est plus la liberté de la presse mais la liberté de manifester : En dehors des journalistes blessé·es, on peut aussi évoquer les manifestant·es blessé·es pendant les manifestations : selon le journaliste David Dufresne, entre 2000 et 3000 manifestant·es ont été blessé·es pendant les gilets jaunes, dont 82 gravement. Une bonne partie de la population a désormais peur, et à raison, d’aller manifester (source).
Pourtant la liberté de manifester est un droit fondamental en démocratie.

Pour aller plus loin sur le rôle central de contrôle social de la police dans notre régime politique, le documentaire d'Usul Les Flics (tout le monde déteste la police?) (43 min). Un des points qu’il soulève est la totale impunité de la police, puisque l’organe chargé d’en contrôler les dérives, l’IGPN, appartient lui-même à la police.


Destruction de la maison La chèvrerie sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Pourquoi le capitalisme empêche la démocratie ?

Einstein et Marx

« Le capital privé tend à se concentrer en peu de mains, en partie à cause de la concurrence entre capitalistes, en partie parce que le développement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation d’unité de production plus larges, au détriment des plus petites.
Le résultat de ces évolutions est une oligarchie de capitalistes, dont le formidable pouvoir ne peut être contrôlé, pas même par une société dont le système politique est démocratique.
Cela est d’autant plus vrai que les membres du corps législatif sont choisi·es parmi des partis politiques, soit largement financés, soit influencés, par les capitalistes, qui éloignent les électeur·rices du corps législatif. Par conséquent, les représentant·es du peuple ne représentent pas suffisamment les intérêts des moins favorisé·es.
Plus encore, dans de telles conditions, il est inévitable que les capitalistes contrôlent directement ou indirectement les principales sources d’information.
Il est dès lors pratiquement impossible pour le·a citoyen·ne de parvenir à des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques ».


Ces mots ne sont pas ceux de Karl Marx, théoricien du capitalisme et de la lutte des classes, mais bien ceux d’Albert Einstein. Le texte lu en entier ici (7min).


Einstein, comme Marx avant lui, explique en quoi le système économique capitaliste a complètement pris le contrôle de la quasi-totalité des aspects de la vie, et travaille donc activement à organiser la société dans l’intérêt de la maximisation des profits.
Il est donc évident que l’adhésion des décideur·euses politiques est primordiale pour la conduite optimale de leurs activités.

Malheureusement, la plupart du temps, les intérêts des capitalistes ne sont pas les mêmes que les intérêts du reste de la population, qui se retrouve forcée de travailler pour eux dans une grande majorité. Pour bien comprendre le mécanisme de cette exploitation essentielle au système économique capitaliste, Politikon résume ici le livre I du Capital de Karl Marx (30min).

L’enjeu est donc de camoufler au mieux cette exploitation essentielle au système économique capitaliste, en propageant dans les médias des visions du monde dans lesquelles les inégalités résultant de cette exploitation sont en fait naturelles, comme la méritocratie (l’idée selon laquelle notre système donnerait les meilleures places aux plus méritant·es). Pour bien déconstruire cette idéologie, vous pouvez regarder la conférence gesticulée “Quand on veut on peut” - Pour en finir avec la méritocratie de Lola Guillot.

Les questions d’économie sont complexes, et cette complexité est d’ailleurs régulièrement utilisée pour justifier des politiques allant contre l’intérêt du plus grand nombre sans que nous puissions nous défendre. Une seule solution : comprendre les bases de l’économie ! Heu?reka nous fait un super cours intitulé “Peut-on annuler la dette publique ?” (récap en 5min)

Le pantouflage

On a vu jusqu’ici comment la classe dominante utilisait les médias pour influencer la démocratie, mais il existe d’autres formes d’influence, comme Einstein le laisse entendre, comme placer des personnes convaincues par ses intérêts à la tête des institutions mais aussi recruter d’anciens politiques : c’est le phénomène du pantouflage. De nombreuses personnes très influentes font des aller-retours au fil des années entre des positions très importantes dans des domaines séparés : banque puis ministères des finances, puis président (Emmanuel Macron), ou bien président de la commission européenne puis banque (José Manuel Durão Barroso).
Pour plus d’explications sur ce phénomène et ses conséquences, encore Osons Causer avec Comment les multinationales achètent nos dirigeants ?(10min)

Les Lobbys

Il existe une autre forme d’influence dont vous avez certainement déjà entendu parler mais dont beaucoup sous-estiment certainement la puissance : les lobbys. Datagueule fait l’exploit de résumer l’ampleur du phénomène en ce qui concerne l’Union Européenne en moins de 3 minutes dans Lobby or not lobby - #DATAGUEULE 3.


Osons causer le fait également de façon plus détaillée dans sa vidéo 10 faits qui montrent comment les multinationales influencent la politiques européenne (23 min).

La façon dont les lobbies influencent les décideur·euses en France est très similaire, mais je n’ai pas de ressource le résumant aussi bien. C’est aussi l’occasion de dire que la France faisant partie de l’Union européenne, les citoyen·nes français·es perdent du pouvoir de décision sur ce qui les concerne, quand bien même nous aurions des institutions plus saines en France ! Hélas, comme on l’a vu, c’est bien loin d’être le seul problème, contrairement à ce qu’avancent certain·es (…vous connaissez l’UPR ?).

La démocratie dans les entreprises

Il y a un aspect très important de nos vies que nous avons failli oublier. Comme expliqué par Marx, nous n’avons presque pas d’autre choix, aujourd’hui, que de travailler pour survivre. La plupart d’entre nous travaillent pour d’autres (ceux·celles qui possèdent), dans leurs entreprises.

Nous passons finalement une énorme partie de notre temps et de notre énergie dans une entreprise.
Pourtant, la plupart du temps, une entreprise est tout sauf démocratique. Le pouvoir appartient à ceux·celles qui la possèdent, et non pas à ceux qui travaillent (nous). Le modèle principal est la hiérarchie, nous ne prenons quasiment jamais les décisions sur les choses qui nous concernent. La situation est rarement meilleure dans les services publics.

Vivons-nous en démocratie ? Déjà, pas entre 9h et 17h en semaine (horaires gentils).

Pour aller plus loin sur la façon dont les entreprises colonisent nos façons de penser et nous font oublier le chantage à l’argent qui est la principale raison pour laquelle nous travaillons réellement, voir ici la vidéo L’économiste (Frédéric Lordon) (30 min) d’Usul sur la pensée du philosophe Frédéric Lordon sur le capitalisme.

Conclusion et dangers

Après avoir parcouru tous ces aspects, vous vous êtes probablement forgé·es une opinion sur le caractère démocratique de notre système politique, une position où serait la France sur un curseur allant de “démocratie parfaite” à “système totalitaire”.
Désolé de mon pessimisme, mais je vais devoir en rajouter une couche : à la date où j’écris (octobre 2021), la démocratie recule, et rapidement. Et ce sur plusieurs aspects :

La dérive autoritaire de l’Etat
Depuis plusieurs mandats présidentiels, les gouvernements successifs ont mis en place un nombre de lois limitant les libertés individuelles sous couvert de sécurité : état d’urgence, interdictions de manifester, désormais la généralisation des drônes et des caméras de surveillances (article). Des lois anti-terroristes sont utilisées contre des militant·es écolos (article).
La criminalisation de toutes les formes de protestation démocratique conduit logiquement à une peur de la plupart de s’engager : on a trop à perdre.

De plus, depuis plusieurs élections, notre super système électoral encourage la classe politico-médiatique à promouvoir les idées d’extrême droite pour remporter facilement l’élection face au parti d’extrême droite au second tour : la “dédiabolisation” de Marine Lepen et le Rassemblement National, la dénonciation perpétuelle dans les médias des dangers de l’islamogauchisme puis du wokisme visiblement plus menaçants que le fascisme…

Au risque que le dit second tour ne se passe pas comme prévu et voit arriver à la tête du pays un parti ouvertement autoritaire et islamophobe, avec des lois déjà toutes prêtes pour avoir le champ libre.


Si si, il a vraiment dit ça… (article)

La dictature de l’urgence
Face aux urgences récentes, la réaction de l’Etat mais aussi de bon nombre de citoyen·nes est de réclamer une “suspension temporaire de la démocratie” pour pouvoir faire face à une crise. C’est ce qu’a fait le gouvernement avec sa gestion, désastreuse mais surtout solitaire, de la pandémie du covid19.
Mais c’est aussi une tendance qui fait son chemin dans de nombreux discours… écologistes : avec la panique devant la catastrophe écologique, et par incompréhension du comportement des personnes qui ne sont pas de leur classe sociale, des écologistes se pensant investi·es d’un savoir supérieur réclament à demi-mots une “dictature verte” qui servirait le bien de tou·tes.

Et encore, on parle ici de vraies crises, mais ce fonctionnement pousse le gouvernement à exagérer des crises et des urgences pour s’octroyer de nouveaux pouvoirs ou justifier des reculs de droits. Je pense par exemple à la série d’attentats de 2015 qui a propulsé un état d’urgence dans le droit commun. Ou à la fameuse “crise de la dette” qui justifie toutes les politiques d’austérité.

La démocratie ça n’est jamais acquis, c’est à défendre et à conquérir.
En ce sens, la troisième et dernière partie de ce dossier abordera les alternatives !

Vers partie 3